LE CHEF D'ETABLISSEMENT AU GABON; ADMINISTRATEUR, LEADER OU MANAGER ?
Le chef d’établissement,
dans les pays au sud du Sahara, sont des enseignants primus inter pares, c’est- à – dire que c’est un enseignant qui va de la classe à la direction de l’établissement
sans formation initiale. Cela implique que le chef d’établissement n’a pas
besoin d’autre qualification que celles exigées pour les enseignants. Cette
vision est d’autant plus présente que celui – ci continue à enseigner. Et sa
légitimité auprès de ses collègues semble mieux fondée si elle s’appuie sur ses
compétences d’enseignant et aussi sur l’autorité que lui confère sa fonction.
Nos chefs d’établissement ne le comprennent malheureusement pas. Ils
abandonnent la classe une fois nommé directeur, principal ou proviseur. Jai
passé 36 ans dans l’enseignement dont 4 comme enseignant, 2 comme censeur, 25
comme proviseur et 5 ans comme maire. De 1979 à 2008 j’ai enseigné même en tant
que chef d’établissement. J’ai assumé la fonction de chef d’établissement de
1983 à 2008.
Nos gouvernants
ignorent que la fonction de chef d’établissement est d’autant
plus complexe, stressante et difficile qu’elle se définit en deux grands
axes : impulser et conduire la
politique pédagogique et éducative de l’établissement qui doit principalement
viser la réussite de chacun des apprenants et conduire et animer la gestion de l’ensemble des ressources
humaines.
Avant de répondre à la
question ainsi posée, il serait éclairant dans un premier temps de donner les
missions du chef d’établissement. Dans un deuxième temps, je proposerai un
modèle regroupant les compétences. Et dans un troisième temps, j’essaierai de
répondre, en insistant sur le cas du Gabon, à la question : « Le chef
d’établissement au Gabon : administrateur, leader ou manager? »
I.
MISSIONS DU CHEF D’ETABLISSEMENT
Elles sont clairement
définies et rappelées dans l’introduction : 1. Impulser et conduire, 2.
Impulser et animer. Mais pour mieux comprendre les obligations du chef
d’établissement, je vous propose la liste à la « Prévert » :
-
Il
constitue les classes et les groupes d’élèves, il répartit,
conçoit et réalise, de concert avec le censeur pédagogique, les emplois de
temps, assure l’organisation des enseignements dans le respect des textes
réglementaires, et développe les pédagogies de soutien au bénéfice des élèves
en difficulté.
-
Il
régule et harmonise les modalités et le rythme d’évaluation des apprentissages
des élèves en bâtissant une politique de l’établissement
relative aux conseils des classes et à l’évaluation et en contrôlant
l’effectivité des enseignements ( cahiers de textes, respect du diagramme de
GANTT). Le chef d’établissement fait office de conseiller pédagogique ( Vade
Mecum).
-
Il
conduit une politique éducative en suivant l’assiduité
et la ponctualité ( présences, absences), en favorisant les modalités
d’expression des élèves ( coopérative, conseil des délégués, conseil de la vie
lycéenne, création des clubs…). Tout ceci doit se faire en impliquant le
censorat de vie scolaire, le conseiller de jeunesse et le service social.
-
Il
établit, organise et maintient le dialogue avec les parents d’élèves,
-
Il
conduit et anime la gestion de l’ensemble des ressources humaines
en assurant une gestion prévisionnelle des personnels, en assurant
l’accompagnement ou mieux le développement professionnel des enseignants.
La
responsabilité pédagogique du chef
d’établissement et son rôle auprès des enseignants et autres services sont
nettement affirmés dans cette liste à la « Prévert » et même dans le
Vade Mecum du chef d’établissement. Il est l’âme de l’établissement, le moteur
de son efficacité et le garant de la cohérence de l’action éducative.
Je
me permets de rappeler cela parce que dans bon nombre des établissements le
couple Proviseur/ Censeur ne fonctionne pas toujours bien. Le censeur refuse
d’appliquer les instructions du chef d’établissement au motif qu’ils ont été
nommés dans le même décret ou qu’il a le diplôme le plus élevé oubliant que la
fonction prime le grade. Le chef d’établissement est la personne morale de
l’institution.
II.
LES COMPETENCES RECHERCHEES
Les
compétences requises d’un chef d’établissement ne sont pas strictement celles
que l’on attend d’un enseignant. Un excellent enseignant ne fait pas
nécessairement un bon chef d’établissement. Au Gabon, nous le savons tous, les
chefs d’établissements ne sont pas formés. Il y a quelques temps ( année’80 –
90), ils suivaient une formation continue. Aujourd’hui plus rien n’existe. Les critères
exigés ne sont pas pris en compte. L’on s’appuie sur les traits de personnalité
et de caractère qui sont progressivement construits et font aisément l’objet de
formation.
Le
sens de l’organisation représente la base sur laquelle est bâtie la compétence
du chef d’établissement. En outre, sa vision, son sens politique, ses qualités
en relations humaines, sa capacité de prise de décision, son leadership et son
habileté de communicateur constituent le cœur de sa fonction.
Référentiel de compétences en
gestion pour le chef d’établissement
Habiletés
interpersonnelles
|
a)
Bonne entente, relations interpersonnelles et
sensibilité aux autres ; habileté à percevoir les besoins, les
préoccupations et les problèmes personnels des autres ; habileté à
résoudre des conflits
b)
Influence : leadership, mobilisation,
solidarité, habileté à impliquer les autres dans la résolution des problèmes
c)
Gestion des conflits : habiletés à
diagnostiquer les conflits interpersonnels, à les gérer et à établir des
stratégies de résolution.
|
Habiletés
cognitives
|
a)
Analyse : habileté à analyser l’information
complexe afin de déterminer les éléments importants d’une situation
problématique
b)
Jugement/prise de décision : habileté à
rechercher des solutions logiques et à prendre des décisions de qualité
basées sur l’information disponible, habiletés à identifier les besoins
éducationnels et à établir des priorités
c)
Intelligence/ouverture d’esprit : être
compétent pour discuter sur une variété de sujets, éducationnel, politique,
économique, être ouvert au changement
d)
Originalité : avoir des idées neuves, nouvelles,
inédites
|
Caractéristiques
personnelles
|
a)
Contrôle de soi/résistance au stress :
habileté à travailler sous pression, dans des situations ambigües ou
complexes
b)
Responsable/ consciencieux : être honnête,
délicat, attentif
c)
Ethique : sollicitude, justice, équité
|
Habiletés
managériales
|
a)
Planification et contrôle : habileté à
planifier et contrôler le travail des autres, habileté à utiliser les
ressources de manière optimale, habileté à gérer une quantité importante de
documents et de demandes diverses en même temps
|
Valeurs
et vision éducationnelle
|
a)
Habileté à promouvoir les valeurs d’éducation, à
projeter son établissement dans le temps et à définir sa propre conception de
l’école
|
tiré de la Revue des Echanges,
NUMERO 2, 2007
III.
QUEL TYPE DE CHEF D’ETABLISSEMENT
AVONS-NOUS ?
Dans une de mes
communications, j’ai rappelé qu’il existait différentes conceptions de la
fonction de chef d’établissement selon les pays et qu’il existait trois modèles
dépendant elles- mêmes du système éducatif. J’ai souligné que le chef
d’établissement peut être soit un leader, soit un manager, soit un
administrateur soit tout à la fois. Je voudrais ici rappeler les définitions
qui se rapportent à ces concepts :
Un
leader : définit une vision et une direction à long
terme tout en développant une stratégie pour produire des changements pour
atteindre le but. Il transmet cette vision à son équipe, il motive, il
enthousiasme, il encourage.
Un
manager :définit les objectifs annuels ou à
court terme. Il planifie, organise le travail, fait le budget, décide,
contrôle, résout les problèmes et parfois recrute les collaborateurs.( rentrée,
diagramme de Gantt)
Un
administrateur :
Le chef d’établissement est un maillon d’une chaîne hiérarchique qui
tient son autorité et ses compétences de son supérieur hiérarchique à qui il
est subordonné.
A partir de ces définitions, vous pouvez aisément comprendre à quelle
catégorie appartiennent nos chefs d’établissement, surtout ceux du public. En
effet chez les confessionnels, il existe beaucoup de liberté et les établissements
jouissent aussi de beaucoup d’autonomie. Ils gèrent les subventions, peuvent
recruter les enseignants vacataires qu’ils rémunèrent sans se référer à la
hiérarchie, peuvent construire les salles des classes, peuvent faire fabriquer
les table –bancs… ce n’est pas le cas des chefs d’établissement du public qui,
la plupart de temps, subissent le diktat de leur chef direct.
Le système éducatif, même si les directeurs d’académie jouissent d’une
légère autonomie, est un système très centralisé. Il s’agit dans ce cas précis
de déconcentration et non de décentralisation. Guy PELLETIER nous apprend que
« la déconcentration est le degré le plus faible de la décentralisation.
Elle se caractérise surtout par une décentralisation administrative qui se
définit comme l’action par laquelle la gestion administrative d’une région est
confiée à des agents nommés par le pouvoir central. La déconcentration ne
comporte pas de transfert d’attribution du centre à la périphérie, mais vise à
faciliter l’exercice total ou régional de pouvoirs qui continuent à relever de
l’administration centrale ».
Notre système éducatif est trop bureaucratique. La coordination des
activités repose sur des règles impersonnelles. Représentant l’Etat, le chef d’établissement
est un maillon de la chaîne hiérarchique qui tient son autorité et ses
compétences de son supérieur hiérarchique à qui il est subordonné .Son rôle
consiste principalement à transmettre les règles, à les adapter à
l’établissement et à en vérifier l’application. Le chef d’établissement chez
nous est plus un administrateur qu’un leader ou un manager. Il ne peut rien
décider. Toute décision, quelle qu’elle soit,
vient de l’amont. Il y a quelques années, le chef d’établissement
n’était même pas autorisé à exclure un élève. Sur le bulletin il lui était
demandé d’écrire « proposé à l’exclusion » et une commission au
niveau central affirmait ou infirmait la proposition de renvoi.
CONCLUSION
Enfin après avoir abordé les trois
points énoncés dans l’introduction, je m’autorise à faire des suggestions quant
à l’amélioration de la qualité de l’éducation et la réussite des élèves. Il est
indispensable que le chef d’établissement soit formé et ait un statut. En
d’autres termes il faut professionnaliser le métier ou la fonction de chef
d’établissement. Pour cela, le ministère en charge de l’éducation doit :
-
définir le profil et les attributions du
chef d’établissement
-
inclure les programmes ou modules de
gestion scolaire de formation initiale à l’ENI/ENS/ENSET
-
définir les modes de recrutement
-
établir un plan de carrière pour les
chefs d’établissement
-
élaborer un code de déontologie et un
guide de bonnes pratiques professionnelles
-
restaurer l’autorité du chef
d’établissement en accroissant ses prérogatives et son autonomie
-
recourir aux lettres de mission
Le chef d’établissement
doit être formé pour qu’il soit un véritable agent de changement et un
véritable moteur de la dynamique d’innovation. Organiser le fonctionnement de
l’établissement, s’appuyer sur la diversité des compétences et des talents,
favoriser l’épanouissement de la vie scolaire sont quelques-unes des missions
assignées au chef d’établissement. Outre les rôles classiques, le chef d’établissement
doit être capable d’accompagner professionnellement et aussi pédagogiquement
ses enseignants et créer de ce fait une culture d’établissement. Le métier de
chef d’établissement est noble parce que l’on se met au service des autres. Il
est riche par les compétences et responsabilités qu’il met en jeu.