mercredi 2 octobre 2019

LE CHEF D'ETABLISSEMENT AU GABON; ADMINISTRATEUR, LEADER OU MANAGER ?

LE CHEF D'ETABLISSEMENT AU GABON; ADMINISTRATEUR, LEADER OU MANAGER ?

Le chef d’établissement, dans les pays au sud du Sahara, sont des enseignants primus inter pares, c’est- à – dire que c’est un enseignant  qui va de la classe à la direction de l’établissement sans formation initiale. Cela implique que le chef d’établissement n’a pas besoin d’autre qualification que celles exigées pour les enseignants. Cette vision est d’autant plus présente que celui – ci continue à enseigner. Et sa légitimité auprès de ses collègues semble mieux fondée si elle s’appuie sur ses compétences d’enseignant et aussi sur l’autorité que lui confère sa fonction. Nos chefs d’établissement ne le comprennent malheureusement pas. Ils abandonnent la classe une fois nommé directeur, principal ou proviseur. Jai passé 36 ans dans l’enseignement dont 4 comme enseignant, 2 comme censeur, 25 comme proviseur et 5 ans comme maire. De 1979 à 2008 j’ai enseigné même en tant que chef d’établissement. J’ai assumé la fonction de chef d’établissement de 1983 à 2008.
Nos gouvernants ignorent que la fonction de chef d’établissement est  d’autant  plus complexe, stressante et difficile qu’elle se définit en deux grands axes : impulser et conduire la politique pédagogique et éducative de l’établissement qui doit principalement viser la réussite de chacun des apprenants et conduire et animer la gestion de l’ensemble des ressources humaines.
Avant de répondre à la question ainsi posée, il serait éclairant dans un premier temps de donner les missions du chef d’établissement. Dans un deuxième temps, je proposerai un modèle regroupant les compétences. Et dans un troisième temps, j’essaierai de répondre, en insistant sur le cas du Gabon, à la question : « Le chef d’établissement au Gabon : administrateur, leader ou manager? »
I.                   MISSIONS DU CHEF D’ETABLISSEMENT
Elles sont clairement définies et rappelées dans l’introduction : 1. Impulser et conduire, 2. Impulser et animer. Mais pour mieux comprendre les obligations du chef d’établissement, je vous propose la liste à la « Prévert » :
-          Il constitue les classes et les groupes d’élèves, il répartit, conçoit et réalise, de concert avec le censeur pédagogique, les emplois de temps, assure l’organisation des enseignements dans le respect des textes réglementaires, et développe les pédagogies de soutien au bénéfice des élèves en difficulté.
-          Il régule et harmonise les modalités et le rythme d’évaluation des apprentissages des élèves en bâtissant une politique de l’établissement relative aux conseils des classes et à l’évaluation et en contrôlant l’effectivité des enseignements ( cahiers de textes, respect du diagramme de GANTT). Le chef d’établissement fait office de conseiller pédagogique ( Vade Mecum).
-          Il conduit une politique éducative en suivant l’assiduité et la ponctualité ( présences, absences), en favorisant les modalités d’expression des élèves ( coopérative, conseil des délégués, conseil de la vie lycéenne, création des clubs…). Tout ceci doit se faire en impliquant le censorat de vie scolaire, le conseiller de jeunesse et le service social.
-          Il établit, organise et maintient le dialogue avec les parents d’élèves,
-          Il conduit et anime la gestion de l’ensemble des ressources humaines en assurant une gestion prévisionnelle des personnels, en assurant l’accompagnement ou mieux le développement professionnel des enseignants.
La responsabilité  pédagogique du chef d’établissement et son rôle auprès des enseignants et autres services sont nettement affirmés dans cette liste à la « Prévert » et même dans le Vade Mecum du chef d’établissement. Il est l’âme de l’établissement, le moteur de son efficacité et le garant de la cohérence de l’action éducative.
Je me permets de rappeler cela parce que dans bon nombre des établissements le couple Proviseur/ Censeur ne fonctionne pas toujours bien. Le censeur refuse d’appliquer les instructions du chef d’établissement au motif qu’ils ont été nommés dans le même décret ou qu’il a le diplôme le plus élevé oubliant que la fonction prime le grade. Le chef d’établissement est la personne morale de l’institution.
II.                LES COMPETENCES RECHERCHEES
Les compétences requises d’un chef d’établissement ne sont pas strictement celles que l’on attend d’un enseignant. Un excellent enseignant ne fait pas nécessairement un bon chef d’établissement. Au Gabon, nous le savons tous, les chefs d’établissements ne sont pas formés. Il y a quelques temps ( année’80 – 90), ils suivaient une formation continue. Aujourd’hui plus rien n’existe. Les critères exigés ne sont pas pris en compte. L’on s’appuie sur les traits de personnalité et de caractère qui sont progressivement construits et font aisément l’objet de formation.
Le sens de l’organisation représente la base sur laquelle est bâtie la compétence du chef d’établissement. En outre, sa vision, son sens politique, ses qualités en relations humaines, sa capacité de prise de décision, son leadership et son habileté de communicateur constituent le cœur de sa fonction.
Référentiel de compétences en gestion pour le chef d’établissement
Habiletés interpersonnelles
a)      Bonne entente, relations interpersonnelles et sensibilité aux autres ; habileté à percevoir les besoins, les préoccupations et les problèmes personnels des autres ; habileté à résoudre des conflits
b)      Influence : leadership, mobilisation, solidarité, habileté à impliquer les autres dans la résolution des problèmes
c)      Gestion des conflits : habiletés à diagnostiquer les conflits interpersonnels, à les gérer et à établir des stratégies de résolution.
Habiletés cognitives
a)      Analyse : habileté à analyser l’information complexe afin de déterminer les éléments importants d’une situation problématique
b)      Jugement/prise de décision : habileté à rechercher des solutions logiques et à prendre des décisions de qualité basées sur l’information disponible, habiletés à identifier les besoins éducationnels et à établir des priorités
c)      Intelligence/ouverture d’esprit : être compétent pour discuter sur une variété de sujets, éducationnel, politique, économique, être ouvert au changement
d)     Originalité : avoir des idées neuves, nouvelles, inédites
Caractéristiques personnelles
a)      Contrôle de soi/résistance au stress : habileté à travailler sous pression, dans des situations ambigües ou complexes
b)      Responsable/ consciencieux : être honnête, délicat, attentif
c)      Ethique : sollicitude, justice, équité
Habiletés managériales
a)      Planification et contrôle : habileté à planifier et contrôler le travail des autres, habileté à utiliser les ressources de manière optimale, habileté à gérer une quantité importante de documents et de demandes diverses en même temps
Valeurs et vision éducationnelle
a)      Habileté à promouvoir les valeurs d’éducation, à projeter son établissement dans le temps et à définir sa propre conception de l’école
tiré de la Revue des Echanges, NUMERO 2, 2007
III.             QUEL TYPE DE CHEF D’ETABLISSEMENT AVONS-NOUS ?
Dans une de mes communications, j’ai rappelé qu’il existait différentes conceptions de la fonction de chef d’établissement selon les pays et qu’il existait trois modèles dépendant elles- mêmes du système éducatif. J’ai souligné que le chef d’établissement peut être soit un leader, soit un manager, soit un administrateur soit tout à la fois. Je voudrais ici rappeler les définitions qui se rapportent à ces concepts :
  Un leader : définit une vision et une direction à long terme tout en développant une stratégie pour produire des changements pour atteindre le but. Il transmet cette vision à son équipe, il motive, il enthousiasme, il encourage.
  Un manager :définit les objectifs annuels ou à court terme. Il planifie, organise le travail, fait le budget, décide, contrôle, résout les problèmes et parfois recrute les collaborateurs.( rentrée, diagramme de Gantt)
  Un administrateur :  Le chef d’établissement est un maillon d’une chaîne hiérarchique qui tient son autorité et ses compétences de son supérieur hiérarchique à qui il est subordonné.
A partir de ces définitions, vous pouvez aisément comprendre à quelle catégorie appartiennent nos chefs d’établissement, surtout ceux du public. En effet chez les confessionnels, il existe  beaucoup de liberté et les établissements jouissent aussi de beaucoup d’autonomie. Ils gèrent les subventions, peuvent recruter les enseignants vacataires qu’ils rémunèrent sans se référer à la hiérarchie, peuvent construire les salles des classes, peuvent faire fabriquer les table –bancs… ce n’est pas le cas des chefs d’établissement du public qui, la plupart de temps, subissent le diktat de leur chef direct.
Le système éducatif, même si les directeurs d’académie jouissent d’une légère autonomie, est un système très centralisé. Il s’agit dans ce cas précis de déconcentration et non de décentralisation. Guy PELLETIER nous apprend que «  la déconcentration est le degré le plus faible de la décentralisation. Elle se caractérise surtout par une décentralisation administrative qui se définit comme l’action par laquelle la gestion administrative d’une région est confiée à des agents nommés par le pouvoir central. La déconcentration ne comporte pas de transfert d’attribution du centre à la périphérie, mais vise à faciliter l’exercice total ou régional de pouvoirs qui continuent à relever de l’administration centrale ».
Notre système éducatif est trop bureaucratique. La coordination des activités repose sur des règles impersonnelles. Représentant l’Etat, le chef d’établissement est un maillon de la chaîne hiérarchique qui tient son autorité et ses compétences de son supérieur hiérarchique à qui il est subordonné .Son rôle consiste principalement à transmettre les règles, à les adapter à l’établissement et à en vérifier l’application. Le chef d’établissement chez nous est plus un administrateur qu’un leader ou un manager. Il ne peut rien décider. Toute décision, quelle qu’elle soit,  vient de l’amont. Il y a quelques années, le chef d’établissement n’était même pas autorisé à exclure un élève. Sur le bulletin il lui était demandé d’écrire «  proposé à l’exclusion » et une commission au niveau central affirmait ou infirmait la proposition de renvoi.
CONCLUSION
 Enfin après avoir abordé les trois points énoncés dans l’introduction, je m’autorise à faire des suggestions quant à l’amélioration de la qualité de l’éducation et la réussite des élèves. Il est indispensable que le chef d’établissement soit formé et ait un statut. En d’autres termes il faut professionnaliser le métier ou la fonction de chef d’établissement. Pour cela, le ministère en charge de l’éducation doit :
-          définir le profil et les attributions du chef d’établissement
-          inclure les programmes ou modules de gestion scolaire de formation initiale à l’ENI/ENS/ENSET
-          définir les modes de recrutement
-          établir un plan de carrière pour les chefs d’établissement
-          élaborer un code de déontologie et un guide de bonnes pratiques professionnelles
-          restaurer l’autorité du chef d’établissement en accroissant ses prérogatives et son autonomie
-          recourir aux lettres de mission
Le chef d’établissement doit être formé pour qu’il soit un véritable agent de changement et un véritable moteur de la dynamique d’innovation. Organiser le fonctionnement de l’établissement, s’appuyer sur la diversité des compétences et des talents, favoriser l’épanouissement de la vie scolaire sont quelques-unes des missions assignées au chef d’établissement. Outre les rôles classiques, le chef d’établissement doit être capable d’accompagner professionnellement et aussi pédagogiquement ses enseignants et créer de ce fait une culture d’établissement. Le métier de chef d’établissement est noble parce que l’on se met au service des autres. Il est riche par les compétences et responsabilités qu’il met en jeu.

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